Nous sommes en train de tuer internet

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Il est bien une réflexion qui trotte dans ma tête régulièrement ces derniers temps : notre bon vieil internet, celui des débuts, est à l’agonie. Pas seulement du point de vue sécuritaire, de la censure qui s’établit sur le réseau comme une traînée de poudre (mais dont il ne sera pas question dans ce billet). Notre internet a muté. D’un formidable espace d’échange, de distribution de savoir, il est devenu un monstre tentaculaire reproduisant de plus en plus certains aspects que l’on peut voir dans notre vie de tous les jours : la compétition et la création de castes sociales sur le réseau.

J’aimais beaucoup notre bon vieil internet. Tout le monde était sur le même pied d’égalité. Personne au-dessus de l’autre, sauf peut-être, sur les forums où les modérateurs veillaient au grain pour que les discussions ne partent pas en vrille. C’était peut-être le seul pouvoir que les uns pouvaient détenir sur les autres. La superstar était tout aussi anonyme que Joseph, charpentier au fin fond de sa cambrousse. Puis les réseaux sociaux sont arrivés, et petit à petit ils ont chamboulé tout cela.

Un premier coup de semonce qui nous montre bien qu’internet n’est plus le même. Les grands réseaux sociaux ont établi les fameux comptes vérifiés. Alors que cette pratique devrait être mise en avant pour tout un chacun, uniquement dans le but de montrer qu’une identité n’est spoliée, Twitter, Facebook et leurs petits copains réservent ce statut aux stars, aux personnes qui ont connu une certaine ascension sociale. Et bien sûr, inutile de le demander soi-même. Le choix ou non de passer en utilisateur vérifié revient au réseau social. En soit, on pourrait dire que ce n’est pas bien grave. Cependant, ces personnes ont une autre expérience du réseau social, les plaçant au-dessus de la mêlée. Twitter affiche moins de publicités aux stars qu’aux autres utilisateurs. Facebook donne des outils supplémentaires aux utilisateurs dont le compte a été vérifié. Nous arrivons à un internet à deux niveaux : l’un pour les nantis, l’autre pour le reste du monde.

Mais la base de ma réflexion est bien plus grave. Ce sont nos comportements qui sont en train de tuer internet. Hier, Neil Jomunsi a annoncé qu’il a supprimé son compte Wattpad. Harassé par la course à l’audience sur cette plateforme, qui conduit à bien des dérives : abonnements pour gagner des followers, messages intempestifs pour qu’on aille lire des histoires et gagner votes et commentaires. Je peux comprendre cette lassitude, que j’ai éprouvée maintes fois sur les réseaux sociaux. Car oui, ces comportements sont symptomatiques des réseaux sociaux et du web 2.0 en général. Les ados ne font que reproduire en réalité nos modes de fonctionnement sur Twitter, YouTube et consorts.

La course à l’audience a remplacé le besoin de partager l’information. Nous sommes plus préoccupés par l’obsession de créer le buzz que bien des articles sont écrits dans ce sens. Bon nombre de médias traditionnels sont bien plus préoccupés par le nombre de likes, de partages et de clics sur le billet que d’informer, inondant internet d’articles pute à clic sans aucun intérêt, ou avec des titres accrocheurs et démagogiques. Mais nos comportements à nous internautes lambda, auteurs, blogueurs et bien d’autres, se sont aussi adaptés. Peut-être même sans que nous nous en rendions compte.

Nous sommes tous occupés à essayer de nous tailler une place sur les internets. À tenter de sortir du lot, à tout faire pour être vus et gagner un maximum d’abonnés qui est devenu synonyme de réussite. Ne nous voilons pas la face. En tant qu’auteurs, nous avons tous essayé le fameux RT+follow pour tenter de gagner un livre dédicacé, ou un like et un partage dans le même but. Nous utilisons des outils de statistiques sur nos abonnés, utilisant des tweets automatiques totalement impersonnels pour les garder dans nos filets. Accrochés aux statistiques de visite ou aux ventes, bon nombre d’internautes spamment sans discontinuer leurs abonnés d’articles, de liens vers leurs produits dans le but de gagner de précieuses visites. À un tel point qu’à un certain moment, je remarquais les mêmes tweets encore et encore dans mon flux, adaptant mon comportement en créant une liste de comptes qui ne pratiquaient pas ces méthodes pour ne plus suivre que celle-ci.

Tout notre internet est devenu une machine à statistiques. Sur YouTube, les vues des vidéos sont mises en avant par Google pour allécher les annonceurs. Les gros youtubers ont adapté leurs créations dans le but d’attirer plus de monde et de générer plus de revenus publicitaires. Au final, tous ces comportements ne nuisent qu’à une seule chose, pourtant essentielle : la création. Nous passons plus de temps à analyser ce qui buzze qu’à créer. Mais le pire de tout, c’est que les plus jeunes reproduisent tous ces comportements néfastes : messages pour gagner des vues, l’abonnement en vue d’un follow-back, etc. sans prendre le temps de discuter ou de découvrir les autres.

Je pense qu’il n’est pas trop tard. Que nous pouvons encore le changer le cours des événements. Nous devons montrer qu’internet n’est pas qu’une course aux likes, à la satisfaction de notre égo en regardant nos kikimeters grimper. Parce que les jeunes, qui nous remplaceront sur terre, vont imiter ces comportements et les amplifier. Revenons au principe de base du Net : le partage, l’accès à l’information, à la diffusion de la création. Afin de le faire revivre et non l’achever.

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Image de Marcelo Graciolli sous licence CC BY

3 Commentaires

  1. Bonjour Greg,
    Bel article que tu nous a pondu là.
    Mais est-ce un article ou une autocritique ?
    Personnellement, je ne me reconnais pas du tout dans les auteurs que tu décris.
    Au fond, ta critique ne porte pas sur le net, mais sur la société. Le paradigme qui se cache derrière ces comportements est celui de la compétition, celui qui a fondé le capitalisme et encouragé ses dérives les plus outrancières et meurtrières.
    C’est pourquoi je m’efforce d’expliquer, quand je le peux, qu’il nous faut changer de paradigme pour opter pour celui de la coopération, du partage et de l’entraide. C’est essentiel pour le futur de nos enfants, de l’humanité tout entière.
    Ceci dit, je ne prétends pas m’abstraire de cette course à la popularité, à l’influence, au pouvoir pernicieux de l’image pour des raisons nobles. C’est plutôt la flemme qui en est la vraie raison. 🙂

    • Salut Claude,

      Tu as bien saisi le sens de mon article. Oui, c’est un comportement calqué sur notre modèle sociétal. J’en ai d’ailleurs déjà parlé dans mon blog: https://www.antredugreg.be/ecrase-lautre-ou-creve/ J’explique juste comment le bel outil que nous avions au début est en train d’être totalement corrompu. C’est bel et bien un article, mais je ne me leurre pas: je participe d’une manière ou d’une autre à ce système, même si je fais tout pour m’en détacher. Je n’ai plus aucun compteur statistique sur mon blog depuis d’un an, je ne spamme pas les réseaux sociaux de pubs ou mes billets (sauf dans certains cas, vis à vis de l’actualité pour rappeler mon point de vue). Je fais mon bonhomme de chemin, à mon rythme, en essayant de partager ma vision et mon point de vue. Tant pis si c’est lent, si je n’ai pas des milliers de followers à la pelle. Mais au moins je suis tranquille avec mon conscience. Le reste c’est du bonus. Ca me fait plaisir lorsque je vois des nouveaux abonnés, mais je ne vendrai pas mon âme au diable pour cela (cela ne m’a pas empêché de tester des techniques, juste pour constater ou non leur pertinence et le fonctionnement d’un réseau social particulier (Facebook en l’occurence), ces derniers mois).

  2. Je créé, je jette ma bouteille à la mer Internet et laisse celle-ci faire le reste. J’ai cette philosophie. Une philosophie frustrante parfois car la reconnaissance d’un contenu numérique pondu peut prendre du temps, énormément de temps 🙂 Cependant, au final, je me sens moins pris au piège par la toile 🙂 Bel article.

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