Le chiffre 11
Vous avez remarqué que chaque grande catastrophe majeure survient toujours durant le même jour du mois ? Il y a eu le 11 septembre, les attentats madrilènes le 11 mars 2004, puis Fuksuhima. Toujours un 11. Chaque malheur signifie un retrait volontaire des libertés, la population pisse dans son froc et supplie les politicards de faire quelque chose. Ce n’est pas plus compliqué cela : les particrates se frottent les mains à chaque attentat et en profitent pour foutre la pétoche grave aux gens. Ces derniers réclament alors des mesures pour être protégés, et acceptent sans broncher des lois qui les mettent sur écoute, incitent à dénoncer ces voisins s’ils osent critiquer le gouvernement, et toutes autres joyeusetés du même acabit.
À « chaque catastrophe du 11 », comme j’ai tendance à les appeler, le monde se rapproche de plus en plus d’une dictature invisible, insidieuse. Mais attention, loin de moi l’idée de répandre des théories de la conspiration ! Je pense que si les petits hommes verts voulaient nous mettre en esclavage, avec l’imbécillité humaine ambiante, cela aura déjà été fait depuis bien longtemps. Je trouve cependant ces coïncidences plus que douteuses. D’ailleurs, si l’on compte bien, nous en sommes déjà au 11e épisode de mes aventures (oui, les deux premiers racontant mon passé avant les événements, on peut donc en déduire que… (non, je ne pousse pas très loin, c’est un calcul parfaitement logique !).
Aujourd’hui, je tremblais, je paniquais au fur et à mesure que toutes les forces de police françaises encerclaient Paris. Non, je dois même vous avouer que je paniquais dès l’annonce, à la télévision, des attentats en train de se perpétrer à Satyre Hebdo. Vous savez, le fameux journal polémique qui s’attirait régulièrement les foudres des communautés religieuses.
Je devinais dès les premiers mots du journaliste qu’il n’allait plus faire bon vivre en France. La peur de l’autre allait être exploitée ad nauseam pour mieux contrôler l’opinion publique. On le remarqua d’ailleurs dès le lendemain : les politicards français commencèrent déjà à déclarer des discours appelant la mise en place d’une surveillance généralisée. Mais pire que tout, un magma de haine s’embrasa dans le cœur de bon nombre d’Européens. Magma qui couvait déjà depuis belle lurette, attendant juste le moment adéquat pour exploser. Satyre Hebdo fut l’événement parfait.
J’étais dans un café lorsque la télévision annonça l’attaque. C’était la consternation dans la salle. Peu de temps après, des sirènes hurlèrent dans toute la ville. Je vis passer cinq voitures de police dans la rue, fonçant à toute allure en direction des bureaux de Satyre. Rebelote à peine une minute plus tard. Elles ranimèrent le souvenir de cette fameuse nuit. La traque, la perte de Marie et des enfants… Je me sentis d’un coup hypermal. La tête commença à tourner de plus en vite. La boule dans le bide refit son apparition. Je fonçai vers ma chambre, je voulais m’y enfermer à double tour, et attendre.
Je rentrai dans l’hôtel, avec un pressentiment bien étrange. L’hôtesse, à l’accueil, me regarda en fronçant les sourcils, puis en replongeant directement les yeux sur son téléphone. Je m’engouffrai dans l’ascenseur, pressant le bouton de l’étage plusieurs fois, dans l’espoir que les portes se referment au plus vite. J’eus un haut-le-cœur dès l’ouverture de la porte. Ma chambre était ouverte. Des bruits, comme si l’on ouvrait et refermait des tiroirs à la vitesse de l’éclair, s’en échappaient. Je m’approchai du mur, plus discret qu’un loup qui chasse sa proie, et collai mon oreille sur la paroi. Les bruits cessèrent net. J’attendis plusieurs minutes, dans cette position. Pas un bruit.
J’osai passer ma tête dans l’ouverture. Toute ma chambre avait été retournée. Le contenu de mon sac, complètement renversé, gisait sur le lit. N’entendant toujours rien, je me risquai à entrer. Mes fringues, éparpillées dans toute la pièce, donnaient l’impression qu’un mini tsunami avait pris naissance dans cette pièce, dans l’unique but d’emmerder son propriétaire. Je ne pouvais plus rester ici. Même si c’était un gars qui avait profité de l’agitation pour fouiller mes affaires, le risque était trop grand. Je ramassais tout mon barda, le fourrant sans réfléchir dans mon sac à dos. Lorsque tout fut embarqué, je remarquai que je n’avais entassé que des fringues. Le GPS, le Plexus 2 avaient disparu. En soi, ce n’était pas trop grave, je n’avais même pas encore osé toucher le téléphone, de peur d’être repéré. Mais cela confirmait bien qu’un petit plaisantin était passé par là. Quand bien même, si d’autres chambres avaient subi le même sort, les flics passeraient d’office. Je n’allais pas leur donner le loisir de m’interroger.
Je partis sans demander mon reste, oubliant même de laisser la clé à l’entrée de l’hôtel. À peine dehors, je le vis au loin. Un des malabars en noir. Dès qu’il m’aperçut, il se mit à marcher d’un pas plus que décidé vers moi. J’accélérai le pas, il fit de même. Putain, c’était bien un de ces types. Je me mis à courir comme jamais. La course était toujours douloureuse, mais je n’avais plus envie d’hurler toutes les larmes de mon corps à chaque fois que mon pied touchait le sol. Je tournais, dans les petites rues parisiennes, zigzagant à nouveau, mais impossible de le semer. Il commençait à me rattraper, ma respiration se faisait de plus en plus difficile. En désespoir de cause, je m’engouffrai dans le métro, et une fois que j’eus passé le portique de sécurité, il stoppa net la course. J’imagine qu’il devait y avoir trop de monde pour lui, impossible de me chopper discrètement. Bon à savoir. Si jamais je devais retomber dessus, je foncerai dans le métro.
Je pris une rame, m’arrêtai à l’arrêt suivant, et je repris le métro dans l’autre sens. On était jamais trop prudent. Je changeai plusieurs fois de direction avant de m’arrêter à hauteur de la Bastille. Là, je m’installai dans un bistro, et devant un café bien chaud, regardai les infos. On pouvait dire que le malheur des uns fait le bonheur des autres. L’affaire Satyre Hebdo monopolisait toute l’attention. Pendant ce temps-là, on ne parlait plus de la traque de l’ennemi numéro un de Belgique.
Je filais mes dernières pièces de monnaie en payant mon café. Voilà, j’étais complètement à sec. Impossible de pouvoir prendre un nouvel hôtel. Il n’était pas non plus possible de quitter la ville inaperçu. Le plan Vigipirate venait d’être relevé à son plus haut niveau, les militaires parcouraient les rues et toutes les sorties de la ville étaient étroitement surveillées. Chaque gare abritait une armada de flics armés jusqu’aux dents, chaque voyageur systématiquement contrôlé. J’étais coincé, pris au piège dans une prison à ciel ouvert, les types en noir rodant dans le coin, prêts à me chopper au moindre faux pas…
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Image de Leo Leibovici sous licence CC BY-NC-ND