Bon, aujourd’hui, est un jour un peu spécial. Alors, j’ai décidé de vous faire un petit cadeau. Si vous avez lu mon Rantbook, vous savez que je participe au NaNoWrimo, et que j’ai donné l’opportunité à mes tipeurs et autres personnes qui me soutiennent de pouvoir le lire en direct. Mais aujourd’hui, je vous balance les deux premières parties en petit présent. Le texte bien sûr, risque d’être modifié à l’avenir. Et si jamais vous souhaitez la lire, durant sa rédaction, n’hésitez pas à aller jeter un oeil sur le billet du projet!
Début janvier 2015. La presse belge ne faisait que parler de ce salopard haineux qui allait venir en Belgique. Celui qui débitait sa merde à longueur de journée sur les plateaux de télé français. Celui qui venait de sortir un livre qui disait que si la France connaissait pareil déclin, c’était à cause de son multiculturalisme, de ses étrangers, de ses musulmans. Le mec tellement rachitique que je suis sûr que si sa mère lui avait donné correctement à bouffer durant son enfance, il n’aurait pas ses problèmes. À force de regarder chez les autres… La presse venait d’annoncer sa venue dans une grande librairie bruxelloise. Il venait y dédicacer son bouquin de merde. Et avant ça, il allait au cercle de lorraine, grand cercle des décideurs belges, où si tu n’es pas PDG qui gagne au minimum un million d’euro l’année, tu n’as aucune chance de rentrer. Il devait également, lors de sa visite express dans la capitale belge, passer la soirée dans un très huppé country club Ucclois. C’était l’occasion rêvée pour passer à l’étape supérieure. M’occuper de ce connard, modifier ses petites pensées bourrées de rancœurs, de haine et de colères, et en profiter pour le ridiculiser publiquement au passage.
Aucune chance de rentrer dans le cercle de Lorraine. Même avec toute la meilleure volonté du monde, j’étais un parfait inconnu pour l’intelligentsia. Je me ferai refouler en deux secondes, même si j’arrivais à « inceptionner » les mecs à l’entrée (oui, je vais assez bien utiliser ce terme, devenu courant depuis la sortie de ce film avec le blondinet DiCarppacio). Il ne me restait que deux options. Dans cette librairie, j’avais une chance. Je n’aurais qu’à me faire passer pour un simple badaud qui veut sa petite dédicace, quitte à ne pas voir de suite les effets de ma manipulation. Dans le club, je pourrais passer un peu plus inaperçu. Un bon costard, quelques coups de manipulations mentales, et le tour serait joué. Je préférais l’option de la librairie. Pour moi, c’était ce qu’il y avait de plus discret, même si c’était bourré de monde. Je pourrai me fondre dans la masse, passer pour un simple badaud. En cas de merde, j’étais juste à côté d’un hub de transports et pourrais me casser vite fait. Au soir, lorsqu’il parlera de schtroumpfs maléfiques qui veulent envahir son beau pays, je serai loin. Il sera la risée extrême et fera la une de tous les journaux. Il n’aura plus aucun crédit et toutes ses paroles aux bonnes odeurs du moustachu des années trente ne seront plus relayées par la presse.
Je n’avais pas spécialement besoin de préparation. Mon boulot était relativement proche de cette grande libraire, et j’y passais régulièrement. Comme il y a en plus un coin pour grignoter un morceau tout en lisant, j’allais au moins une fois par semaine pour y casser la graine. Je n’avais donc pas besoin de repérage. J’étais loin de m’imaginer comment cela allait réellement se passer, et si j’avais su, j’aurais été plus prudent, ou même j’aurai simplement abandonné le projet. La libraire me convenait mieux, mais, manque de bol, l’annonce de sa venue pour la dédicace dans la libraire provoqua un tollé général dans la presse. Tout le monde était sur les dents, hurlait sur la direction qui décida d’annuler l’événement, par peur de représailles. Je n’avais plus le choix, je devrais faire cette opération en direct dans ce Country Club de snobinards.
J’allais me promener dans les environs la veille, histoire de découvrir les lieux. Une place bon chic bon genre, pleines de BMW, Lamborghinis et autres voitures du même acabit. Le complexe était un ensemble de plusieurs bâtiments, tous de plain-pied entourés par un petit parc clôturé. La nuit, bien que froide, était calme, il n’y avait pas un nuage dans le ciel. Regardant la voûte céleste, je me disais qu’il était bien dommage de ne pouvoir observer correctement la nuit, avec toute la pollution visuelle fournie par la ville. Sortant de ma rêverie, je vis un homme tout habillé de noir, de la chemise au costard, à l’entrée principale du country club. Sa boule de billard qui lui faisait office de tête semblait froide comme la pierre, dénuée de toute expression. Il me fixait intensément, son regard était noir, impénétrable. Une drôle de sensation m’envahit, un mélange de peur, de terreur commençait à s’insinuer en moi. Je n’avais jamais ressenti cela. Et ce type, ne bougeait pas d’un poil, toujours à me fixer.
Ce type me filait les boules. Jamais on ne m’avait regardé de cette manière impassible. Je me demandais ce qu’il me voulait. Je tentai donc de rentrer dans son esprit, comme je l’avais fait mainte fois. Ses pensées étaient impénétrables, comme si un mur était érigé dans son esprit, une cage de Faraday biologique. Je tentai de forcer le passage, mais d’un coup, je sentis mon estomac se contracter, mes tripes se comprimer. Un boule d’angoisse se formait dans mon bide et je commençais à trembler. Ma vue commença à se troubler. N’en pouvant plus, je lâchai prise et pris mes jambes à mon cou, sans demander mon reste.
Je me mis à courir, fonçant dans les ruelles d’Uccle, changeant constamment de direction. Cette sensation de peur et cette boule dans l’estomac ne me quittaient pas, ce qui ne faisait qu’augmenter ma panique. J’avais l’impression d’être suivi, mais j’avais beau me retourner, il n’y avait personne. Alors j’ai couru, encore et encore, pendant je ne sais pas combien de temps. Je n’arrêtai pas de zigzager, espérant échapper à ce poursuivant imaginaire. J’arrivai finalement à reprendre le contrôle de mon corps et pu reprendre une marche normale, devant rebrousser chemin. La course m’avait mené bien loin de ma voiture. Là encore, avant de prendre le volant, je regagnai mes esprits. Tout s’embrouillait, je n’avais jamais vécu ce genre de situation. Avais-je rêvé ?
J’aurai dû prendre cet avertissement en compte. Cette nuit-là, je n’arrivai pas à fermer l’œil. Cette entrevue m’avait vraiment foutu les jetons. Un tas de question me submergea, ne sachant plus quoi penser. Qui était ce type ? Comment était-il possible que je ne puisse pas lire dans son esprit ? Avait-il compris que je le visais, savait-il de quoi j’étais capable ? Et surtout, qu’est-ce que je ferai s’il était là demain ? Au bout d’un long moment, je chassai toutes ces pensées. Je n’avais jamais eu de problème, tout s’était passé comme sur des roulettes jusqu’à présent. Cela devait être le stress. Pourtant, j’aurais du me rappeler le toubib, de sa mise en garde, mais le souvenir ne refit pas surface ce soir-là. C’est maintenant lorsque je suis en train de poser ces mots dans ce petit carnet que ses paroles me revinrent. J’ai vraiment été trop con, trop présomptueux, pensant que rien n’y personne ne pouvait m’arrêter. C’est avec cette idée en tête que j’arrivai à m’endormir ce soir-là, toujours décidé de passer à l’action le lendemain. J’aurais mieux fait de me casser une jambe. La vie, c’est comme dans les romans fantastiques : si tu transgresses l’interdit, malgré les avertissements, c’est une grosse merde qui te tombe dessus et il devient bien difficile de s’en dépêtrer. Mais comme dans ses histoires, le héros (si tant est que j’en suis un, là je me permets d’en douter), ignora totalement les signaux d’alarme pour se jeter dans la gueule du loup.
épisode 4
Il me laissa seul, sur le trottoir de la petite ceinture bruxelloise. J’étais abasourdi, quelques secondes, me demandant ce qu’il venait de se produire. J’avais beau le chercher aux alentours, aucune trace de ce type étrange. Je devais certainement avoir rêvé, rongé par la peur de mon aventure de la veille, rongé par la crainte qu’elle se reproduise. Cela ne pouvait être que cela. Quoiqu’il arrive, rien ne m’empêchera de mettre Lammour hors d’état de nuire. Ce serait mon dernier test grandeur nature, mon cobaye ultime. Après, je m’occuperai de ces vieux dinosaures partouzeurs de droite qui nous servent de gouvernement. Ces vieux monolithes vivant encore au siècle passé qui écrasent le peuple de tous leurs poids.
Je me remis en route, fallait que je repasse prendre ma bagnole. Même si Bruxelles est bien desservie en transport en commun, s’ils ne sont pas occupés par une grève quelconque, me pointer en bus au Country Club bousillerait direct ma discrétion. J’espérais juste ne pas tomber sur un de ces types en noir à la réception des invités.
Dès mon arrivée, je me mêlais aux autres invités, et je me disais qu’il devait y avoir un chic type au-dessus de ma tête, à croire que ma prière avait été entendue. Si seulement j’avais compris… Mais il n’y avait pas de semblant de skinhead en costard à l’entrée. Il me fut facile d’inceptionner les portiers en leur faisant croire que j’étais un habitué. Dès que quelqu’un ne semblait pas me reconnaître, hop une petite poussée dans la tête et j’étais le type qui avait fait rapporter des contrats avec beaucoup de zéro à son business.
Je me fondais rapidement dans la masse. Lammour n’était pas encore présent, tout le monde se dirigeait vers ce grand salon où nous pourrions l’entendre débiter ses conneries sur le multiculturalisme bousillant l’héritage français et autres. En me faufilant, inaperçu, je remarquais qu’il y avait plusieurs gorilles dans la salle. Ils devaient bien être cinq ou six, quoique comme ils se ressemblaient vraiment tous, j’en ai peut-être compté l’un ou l’autre deux fois. En tout cas, ils ne me remarquèrent pas le moins du monde, ce qui me soulageait pas mal. Je choisis une chaise dans les dernières rangées, près d’une allée, histoire de pouvoir facilement me carapater si cela tournait mal.
Le public présent me donna envie de vomir. On y voyait ces chefs d’entreprises, ceux qui virent leurs employés à tour de bras sous prétexte de crise alors que leur salaire augmente d’années en années. Et sans étonnement, une belle partie de l’entourage de notre gouvernement : des mecs de l’extrême droite flamande, mais aussi cet avocat juif qui s’était lancé dans la politique en martyrisant les autres communautés minoritaires. Tous les types qui insinuaient la haine, la peur et le rejet de l’autre dans le cœur de ses futurs électeurs. Le public idéal pour Lammour. Ils allaient boire ses paroles goulûment pour mieux les adapter au peuple Belge.
Finalement, il arriva. Deux de ses fameux gorilles derrière lui, qui se tenaient à distance sur l’estrade. Il était vraiment petit. On ne s’en rendait pas compte, comme cela à la télévision. Après quelques mots du fondateur du Club qui semblait honoré de sa présence (faux-cul, je le sais que tu l’as fait pour la gloriole, même si tu embrasses certaines de ses idées), il s’apprêta à prendre la parole. Première poussée. Impossible de rentrer dans son esprit, comme avec le malabar que j’avais croisé la veille, et automatiquement la boule commença à se former dans mon bide. Mais cette fois, la sensation rentra bien plus vite. J’essayais encore et encore, mais rapidement les gorilles commencèrent à s’activer, à scruter la salle. Et d’un coup, son regard se tourna vers moi. Ses yeux impassibles rencontrèrent les miens. Impossible de détourner le regard, j’étais comme figé sur place. Je n’arrivais plus à bouger, comme si une force invisible m’empêchait tout mouvement. Avec terreur, je ne pus que constater que deux des gorilles se dirigeaient vers moi, l’un deux beuglant quelque chose dans une langue qui m’était inconnue dans un petit micro agrafé à son costard.
J’étais pris au piège, fait comme un rat. J’avais beau essayer de pénétrer l’esprit de quiconque, je me retrouvais face à un mur. Pire, c’était comme si mes tentatives d’inception se retournaient contre moi. Et lui ne détournait pas son regard, je le sentais comme un poids m’écrasant la boite crânienne, prêt à la défoncer pour en extraire je ne sais quoi. Je ne sais pas combien de temps cela dura, il me semblait une éternité. Les deux sbires me prirent par les bras, en me parlant d’un ton extrêmement menaçant et me tirèrent hors de la salle, dans un petit couloir de service. J’ai du mal à me rappeler les murs. Je ne voyais que le sol, qui n’était que du béton armé. Il était faiblement éclairé par des petites lampes qui pendaient du plafond. Hormis nous trois, il n’y avait pas un chat.
Alors qu’on avait à peine pénétré dans le couloir, Lammour commença à déblatérer son discours. Un bonjour, suivi d’une salve d’applaudissements. Je profitai de la cohue pour essayer de me débattre. J’avais à peine tenté de bouger un bras que je sentis un coup me vriller les côtes. La douleur était si forte que ma vision se troubla quelques secondes et que mes jambes arrêtèrent de me soutenir. Me voyant défaillir, les deux malabars se mirent à rire. L’un deux me parla, avec un accent qui prouvait bien que le français n’était pas sa langue natale :
« On fait moins le malin, maintenant, monsieur le comique ! »
Un deuxième coup me transperça. Je ne pus me retenir, le contenu de mon estomac remonta, une partie éclaboussant le type qui venait de me parler. Son regard devient complètement fou, et son poing alla se fracasser en plein milieu de mon visage.
“dummekopf”
Une pluie de coup s’abattit sur moi. De l’allemand. Ces types étaient allemands. Qu’est-ce qu’ils pouvaient bien faire avec un Français ? Ce fut la seule pensée que je pus émettre. Ils s’acharnèrent, les coups de pieds atterrissant dans mes côtes les uns après les autres. Je n’arrivais pas à piper un mot, à faire quoique ce soit sinon prier qu’ils s’arrêtent. Je n’avais jamais été battu de la sorte. Au bout de quelques minutes qui me semblèrent une éternité, ils se lassèrent. Les deux malabars me soulevèrent et me tirèrent vers le fond du couloir.
J’étais vraiment trainé, comme un vulgaire sac à patate, comme on dit par chez moi. J’essayais une dernière tentative de manipulation mentale. Toujours pas moyen de pénétrer leur cerveau. Toujours ce mur, toujours cette sensation qui me prenaient au tripe. L’un deux me parla d’un ton sévère :
« tu as toujours pas compris ? Arrête ton petit manège »
A nouveau, un coup me comprima l’estomac. J’abdiquai. Je ne pouvais rien faire. Le moindre pet de travers signifiait une pluie de coup. Voyant ma résignation, ils semblèrent satisfaits et se remirent à me tirer.
Alors qu’on atteignit la moitié du couloir, ils me laissèrent tomber sur le sol. Un coup de feu venait d’être tiré dans la salle de réception.
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Image de Paul Frankenstein sous licence CC BY-NC