— On a réussi, The Pirate Bay est enfin tombé ! Ses fondateurs sont en taule et pas prêts d’en sortir. Dès maintenant, plus personne n’ignorera que voler nos œuvres ne sera plus impuni !
Ces quelques phrases étaient les premiers mots du maître de cérémonie de cette réunion somme toute sordide. Début janvier, ils s ‘étaient tous rassemblés : les membres de la MPAA ainsi que des ayants-droits de toute sorte. Cela faisait des années qu’ils bataillaient pour mettre à bas la plus grande plate-forme de téléchargement. Porter un grand coup, pour montrer leur toute-puissance.
Un des présidents présents, celui de la Home Bouse Office, prit la parole.
— Oui, enfin ! Maintenant ces internautes ingrats y réfléchiront à deux fois ! On a poussé le bouchon partout : on a stigmatisé, fait culpabiliser tous ces crétins qui nous volent. On a réussi à avoir tous les gouvernements de notre côté, en leur faisant croire que l’on perdait énormément de fric. Un joli coup.
— Oui, un joli coup. Mais maintenant, il faut préparer le prochain.
Tout le monde s’était tourné vers celui qui venait de prononcer cette phrase. C’était le CEO de Paramoumout, une grande société spécialisée dans l’audiovisuel, ses films étant pour la majorité de gros blockbusters. Plusieurs des intervenants reprirent presque en cœur :
— Préparer le prochain coup ? Que veux-tu dire par là, Marcel ?
— Qu’il ne faut surtout pas s’arrêter en si bon chemin ! On a réussi à plier le net, tous les internautes lambda tremblent à l’idée de télécharger quelque chose ! Alors, je proposerai qu’on aille plus loin, on pourra s’en mettre encore plus plein les poches !
Le boss de Univers-Selles se leva pour bien se faire entendre. L’idée semblait l’intéresser. Avoir plus d’argent, quelle bonne idée ! Les actionnaires seraient contents et donc sa place bien assurée.
— Et je suppose qu’à la Paramoumout, on a trouvé une idée. Alors, quelle est-elle ? Je salive déjà !
— Ce n’est pas compliqué du tout. La copie, c’est mal, comme on l’a matraqué. Internet est un outil de copie et d’échange, mais on a oublié une chose : le premier manque à gagner, ce sont les enregistreurs ! Il suffit qu’un de nos programmes passe à la télé, n’importe qui avec un enregistreur DVD ou un disque dur peut le copier et le regarder autant de fois qu’il le souhaite. Ce manque à gagner est considérable ! Peut-être même bien plus qu’internet, vu qu’on ne peut avoir aucun contrôle ! Il faut donc interdire ces appareils !
Grands sourires et applaudissements dans la salle, qui semblait conquise par cette idée, le CEO de la FOCK exultait sa joie sur cette idée. Celui qui opposait le plus de réticence n’était autre que le patron de Sanni. En plus de produire films et jeux-vidéo, il fabriquait également ce genre d’appareil, et ils lui rapportaient gros.
— Je ne suis pas sûr que cela soit une bonne idée. Des tas de gens ont des enregistreurs. Cela me rapporte des millions par an. Les fournisseurs de télé numérique incorporent des disques durs dans leurs décodeurs. C’est infaisable.
Marcel avait cependant déjà réfléchi à la question, et rassura de suite son homologue.
— J’ai la solution à ce problème. Ce serait une semi-interdiction. Seuls les appareils validés par la MPAA seraient autorisés. Donc, les petites marques, les disques durs externes en tout genre ne pourraient plus êtres mis en vente sans notre accord, moyennant une licence colossale. Et pour le consommateur qui dispose d’un appareil, l’enregistrement serait un peu calqué sur la VOD. Chaque fois qu’il veut regarder un film enregistré sur son appareil, il devra débourser 2 ou 3 euros, qui sera directement reversé à la société productrice du bien culturel.
Applaudissement général dans la salle. C’était une idée de génie, un moyen continu de se faire des rentrées d’argent. Les mannes seraient continuellement pleines avec ce système ! Mais il y avait, au fond de la salle, quelqu’un qui restait dubitatif. L’idée ne lui plaisait pas. Ils allaient encore tous passer pour des vautours. Les pirates, avec leurs propositions de réforme sur le droit d’auteur risquaient encore de gagner des partisans. Ce réticent n’était autre que le CEO de TrueTV, une petite société spécialisée dans les films indépendants et qui montait en puissance. Il se leva pour faire part de son idée.
— J’aurai une autre idée, plus moderne, plus en accord avec notre temps. Et cela permettrait de couler Netfric, notre principal concurrent sur le net. D’ailleurs, nombre d’entre vous refusent déjà de vendre une grande partie de ses films à cette société. Pourquoi ne pas faire une plate-forme de ce type avec tous nos films et séries ? On se répartit les sommes versées pour les abonnements selon le nombre de films visionnés. Comme nous détenons près de 80 % des biens cinématographiques, c’est le succès assuré ! Avec ce système, nous mettrons fin une bonne fois pour toute au piratage sur le net, les derniers irrésistibles qui téléchargent encore à tort et à travers nos biens seront conquis par ce système !
Hilarité générale dans la salle. Ce jeune directeur dynamique était si naïf ! Il fut automatiquement raillé par Marcel qui, profitant de la situation, commença directement à le dénigrer.
— Non, mais vous vous êtes entendu ? Sérieusement, vous pensez à ce que vous dites ? Imaginez l’argent qui coule à flot avec le système des enregistreurs ! Avec votre système de licence, on gagnera nettement moins !
— Oui, mais on gagnera le respect du consommateur.
— Ça, c’est le cadet de nos soucis. La seule chose qui compte, c’est le fric et rendre nos actionnaires contents. La seule chose que le consommateur doit retenir c’est que sans nous, ses petites séries télés le soir ou ses petits films, il ne les aurait pas. Et que s’il tente de nous voler, nous récupérerons par dix ce qu’il nous a spolié.
Applaudissement général dans la salle. Le président de la réunion, intima le silence.
— Bien. Passons au vote alors. Nous avons la proposition de Marcel d’Univers-Selles, et de Gilbert de TrueTV. Qui est pour la proposition de Marcel ?
Hormis Gilbert, tout le monde leva la main. Le président adopta la nouvelle motion sous les applaudissements de toute l’assemblée. Le prochain coup des ayants-droits avait donc été décidé.
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J’imagine très bien la scène en plus, vue comment c’est (hélas) réaliste